mercredi 20 mars 2002

Le convoyage de Brest à Ribadeo

Je demandais à Claire Marty, grande navigatrice et responsable d’une association de Marseille, de m’aider à constituer un équipage pour convoyer le bateau.

Elle me présentait Hélène, infirmière d’une quarantaine d’années qui naviguait tous les week-ends à Marseille et préparais son brevet hauturier. Je lui proposais de tenir le rôle de chef de bord pour ce convoyage de Brest à Port-Saint-Louis-Du-Rhône.

Elle accepta et nous commencions à établir un plan de navigation. Elle trouva un équipier, François, un jeune d’une trentaine d’années pour compléter l’équipage.

Je préparais donc le bateau et fixais la date de départ au alentour du 20 mars 2003, après les marées d’équinoxe.

L’expert maritime vint mesurer le degré d’humidité de la coque et me délivra un rapport d’expertise qui me permit d’assurer le bateau. Le bateau avait été construit avant que la formulation du polyester soit modifiée, donc pas d’osmose.

Une semaine avant le départ, alors que j’étais à Brest en pleine préparation, Hélène m’indiquait qu’elle avait beaucoup parlé de notre périple avec ses amis du club de voile de Marseille et que le Golf de Gascogne était réputé dangereux. Elle me demanda s’il était possible de prendre un skipper professionnel pour traverser le golf.

Je fis donc le tour des spécialistes de Brest, et c’est le patron du chantier ou se trouvait le bateau qui me trouva un skipper professionnel. Ce dernier était en stage de formation en Bretagne et dès mon premier appel, il accepta de nous accompagner pour le convoyage jusqu’à Vigo, au sud du cap Finisterre.

Je passais donc un contrat pour une navigation d’environ sept jours au départ de Brest.

En l’attendant, je commençais par faire mettre le bateau à l’eau pour des essais en rade de Brest, en compagnie de François.

Le jour de la mise à l’eau était fixé. Trois heures avant la manœuvre, je recevais un contre-ordre. Le bateau d’Olivier de Kersauson devait partir pour une tentative de record de traversée et toute mise à l’eau était reportée au lendemain.

Nous attendîmes donc que Géronimo veuille bien quitter Brest.

Première sortie, émouvante, un force 3 dans la rade de Brest, sortie impeccable au moteur du Port du Moulin Blanc, deux heures de voile et moteur au retour. Par acquit de conscience, je soulève les fonds et horreur, il y a de l’eau dans les fonds. J’appelle le patron du chantier et le motoriste.

Le patron du chantier fait tourner le moteur et il s’aperçoit qu’un raccord de renvoi du circuit d’eau est dessoudé. Nous faisons la réparation en raccordant ce circuit sur un passe coque qui ressort à l’extérieur tout près du tuyau d’échappement.

Nouvel essai le lendemain et sortie impeccable.

Hélène nous rejoint et nous faisons l’approvisionnement pour trois semaines de navigation, puis nous attendons notre skipper professionnel, que nous appellerons Jean pour la suite de ce récit, afin d’éviter de nuire à sa carrière professionnelle.

Il est très souriant, à l’écoute et je lui explique dans le détail tout ce qui a été fait sur le bateau. Pendant le dîner, je lui dis que j’aimerai partir le plus tôt possible, à quoi il répond « la nuit porte conseil ».

Le lendemain matin, au petit déjeuner, Jean, sur un ton neutre me dit qu’il veut faire un ensemble de vérifications de sécurité avant le départ et qu’il prend dorénavant la direction des opérations.

Je m’incline et il commence par doubler un grand nombre de points par des bouts de sécurité, passe tout en revue, me fait changer encore quelques drisses qu’il considère comme usagées et vérifie la totalité de l’équipement.

Le moteur a entièrement été révisé par l’ancien propriétaire. Il a tourné 200 heures depuis sa remise en état. Il ne fait pas d’huile et tourne comme une horloge.

Une question parmi d’autres, quelle est la contenance du réservoir de gas-oil. Bonne question, je ne sais pas. Il y a une jauge à main et le clapet de remplissage est derrière le support de barre à roue.

Par précaution, nous embarquons trois jerricans supplémentaires de 20 litres de gas-oil.

La météo indique un vent de cinq nœuds venant d’ouest pour le lendemain.

Nous décidons donc de partir le lendemain matin, au moteur, contre le vent pour sortir de la rade.

Jean nous explique que nous allons faire quarante huit heures de navigation et nous arrêter dans un port pour une nuit, faire le plein de gas-oil et repartir pour quarante huit heures de navigation.

Dès le départ, le vent tombe et nous voila au moteur pour passer la chaussée de Sein.

Dès la Pointe du Raz et la chaussée de Sein passés, nous faisons route au cap 180 en direction du centre du Golf de Gascogne, sans un poil de vent, au moteur, à 1600 tours minute.

La fameuse houle du Golf de Gascogne nous berce doucement. Ce n’est pas une allure très agréable et Jean commence à s’ennuyer. Dans l’après-midi, nous ne savons pas quelle mouche le pique, il décide que l’équipage va nettoyer les fonds qu’il juge gras. Nous voilà armés, Hélène, moi et Jean d’un seau et d’éponges. Hélène se trouve près de l’évier de la cuisine, et Jean nettoie les fonds avec une paire de gants et une éponge. Il rempli le seau d’un liquide verdâtre composé de lessive et de graisse. Il y a une forte houle à ce moment là. Je reçois le seau de Jean que je passe à Hélène. Déséquilibrée par une vague, elle renverse le seau d’eau grasse sur la cuisine. Jean libère une volée d’injures en direction d’Hélène, au point que François qui est à la barre vient voir ce qui se passe dans la cabine. Il reçoit alors lui aussi une volée d’injure du skipper qui se montre sous son mauvais jour.

Nous passerons plus de deux heures a rendre la cabine de nouveau propre. François est dans tous ses états, Hélène ne bronche pas, l’air détaché dans son coin. J’essai de calmer le jeu, d’expliquer que cela peut arriver à n’importe qui, de détendre l’atmosphère, rien n’y fait, Jean n’arrive pas à se calmer et il se retient pour ne pas m’agresser aussi.

Juste avant la nuit, nous stoppons le bateau et remplissons le réservoir pour connaître notre consommation de gas-oil. D’après les maigres éléments dont nous disposons, nous avons consommé 1,6 litres à l’heure et le réservoir aurait une capacité de 50 à 60 litres. Nous en profitons pour vérifier le niveau d’huile, nous n’avons pas consommé une goutte d’huile.

Dans la nuit, un peu de vagues et du bruit dans le coffre bâbord sous la banquette. Jean s’énerve et me hurle de vider le coffre. Je lui dis que ce bruit vient de la cuisine. Il m’ordonne de vider le coffre en hurlant de plus belle. Je fini par obtempérer, craignant le pire, c'est-à-dire qu’il en vienne aux mains. Je vide le contenu du coffre et le bruit est toujours présent. Je me plante devant Jean et lui dit que j’avais donc raison, que le bruit venait bien de la cuisine. Je descends dans la cabine, bloque les deux bouteilles qui s’entrechoquaient et pour moi l’incident est clos.

Chacun prend son quart et au petit matin, lorsque je me réveille, nous approchons des Sables d’Olonnes.


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« Nous aurions pu nous arrêter à l’Ile-D’yeu, mais j’ai préféré pousser jusqu’aux Sables d’Olonnes », délivre Jean.

Je ne me pose pas trop de question, il a surement de bonnes raisons.

Nous arrivons en milieu d’après-midi, faisons le plein de gas-oil et prenons notre place au port.

« Venez, je vous offre un verre » se propose Jean qui a retrouvé le sourire. Ce n’est pas le cas de François qui se met à l’écart avec Hélène pour Discuter. Jean file droit vers le premier bar sur la droite du port. Accueil très souriant des tenanciers qui connaissent Jean depuis un très grand nombre d’années. Au bout de trois tournées générales, nous apprenons que Jean a fait dix-sept convoyages transatlantiques pour le compte des chantiers navales des Sables d’Olonnes.

Après la quatrième tournée générale, tout l’équipage est un peu éméché, et nous changeons de bar.

Au bout du sixième bar, je propose que nous allions manger avant d’aller nous coucher pour une bonne nuit réparatrice.

Nous dînons dans un restaurant conseillé par Jean, puis je propose de regagner le bord. Jean explique qu’il continue sa tournée des bars pour saluer les copains. Il ne devait pas avoir tant de copains à l’Ile-D’yeu !!!

En rentrant au bateau, François me dit qu’il ne supporte pas d’avoir été traité comme il l’a été par Jean et m’indique qu’il quittera le bord le lendemain matin pour rejoindre Marseille. Jean rentre vers trois heures du matin, ivre mort, il réveille l’équipage.

Le lendemain matin, François quitte le bord. Pas un mot de Jean, seulement un regard sournois.

Toujours pas de vent. Nous repartons au moteur en direction du centre du Golf de Gascogne, avec un équipage réduit à trois pour quarante huit heures de navigation.

Un peu de houle et de la voile pendant deux heures. Nous faisons une journée et une nuit de navigation. Le lendemain notre réserve de gas-oil s’épuise, et nous piquons en direction de Ribadesella, au nord de l’Espagne.


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Les instructions nautiques indiquent un banc de sable sur la rive gauche du fleuve. Nous attendons l’heure de la marée haute pour nous engouffrer dans l’estuaire du fleuve ou la hauteur d’eau est suffisante pour nous accueillir.

C’est jour de fête à Ribadesella. Il n’y a pas de port, mais quelques bateaux de pécheurs et nous devons attendre le lendemain pour obtenir du gas-oil au poste à essence de la station touristique.

Nous nous mettons à quai adossé à des poteaux qui soutiennent le remblai. La coque en gardera un souvenir bien gravé.

« Si tu avais prévu une planche à bord, nous aurions pu éviter cela, mais ce n’est pas grave, c’est très facile à reboucher ce genre de dégât. » explique Jean.

Nous sommes donc à environ 250 kilomètres du Cap Finisterre et 300 kilomètres de la baie de Vigo, fin du contrat que j’ai avec Jean.

Le lendemain matin, nous attendons la marée pour appareiller. Jean me demande de me mettre à la barre pour sortir de l’embouchure du fleuve. Je vois le banc de sable bien à gauche de l’estuaire, et plus nous approchons, plus il semble évident que nous ne pourrons pas sortir. Jean m’engage à continuer, jusqu’au moment ou un pécheur nous fait des grands signes de rebrousser chemin. Retour à la case départ, nous nous remettons où nous étions et attendons deux heures de plus.


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Nous naviguons au moteur en direction de Cap Finisterre. Lors d’une séance de remplissage du réservoir de gas-oil, nous vérifions l’huile et Jean me demande de mettre de l’huile dans le moteur. Je lui montre que nous n’avons pas consommé une goutte d’huile. Il élève le ton et je n’ose pas m’opposer à sa décision. Je rajoute donc de l’huile. « Encore, mets en un peu plus » dit Jean. Fin de l’opération et nous repartons au moteur.

Une heure après, Jean soulève le plancher en bas de l’escalier et constate qu’il y a une fuite d’huile. Nous arrêtons le moteur et regardons le niveau d’huile, il manque de l’huile puisqu’elle est dans les fonds…

A ce moment la, nous sommes en face de Ribadeo. Jean propose donc de gagner le port de Ribadeo.


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Nous arrivons dans la marina de Ribadeo et j’explique le problème au capitaine du port qui appelle aussitôt un mécanicien. « Il viendra demain matin ».

Le lendemain matin, le mécanicien arrive. Il ne parle pas français, le capitaine du port sert de traducteur. Le mécanicien regarde le moteur, passe sa main sous le moteur pour trouver la fuite, se relève et demande : « Qui est le propriétaire ? »
Je réponds, « C’est moi. »
« Qui est le skipper ? »
Jean répond « c’est moi ».
Le mécanicien demande à me voir à l’écart du skipper.
« Qui as mis de l’huile ? ».
Je réponds, « C’est moi. », et à cet instant tout s’éclaire.

Il m’explique que ce n’est pas grave, c’est le joint spi qui a sauté sous la pression, c’est en mettant trop d’huile qu’une surpression s’est produite. Il faut trois semaines pour approvisionner le joint et faire la réparation, ce n’est pas un gros montant, environ 200Euros.

J’ai tout compris, je reviens au bateau et je dis que ce n’est pas grave et que je vais réfléchir pour la suite.

Jean dit alors qu’il suffit de réparer et de repartir. Il ne sait pas encore que la réparation serra terminée trois semaines après.


Je comprends alors que Jean est un grand pervers. Il a tenté de prolonger sa mission en me faisant mettre le bateau en panne.

Une heure après, j'ai pris ma décision. J’annonce à Hélène et à Jean que tout le monde débarque et que nous repartons le lendemain matin pour la France.

Le soir même, en présence d’Hélène, Jean me dit qu’il ne quittera pas le bord sans avoir été payé. Je lui dis que je n’ai pas suffisamment de liquide et que je le paierai dès que j’aurais pu tirer de l’argent à un distributeur, a quoi il répond « Si tu ne me paie pas, je te casse la gueule ».

Le lendemain, à la station de bus, je tire du liquide et paye Jean, puis nous prenons le car en direction d’Irun pour prendre le train à Hendaye.

Fin de la première partie du convoyage de JULIE VI.